mercredi 8 juin 2016

De Manosque-les-Couteaux au bateau noir d'Alaska



"Il faudrait toujours être en route pour l'Alaska. Mais y arriver à quoi bon. J'ai fait mon sac. C'est la nuit. Un jour je quitte Manosque-les-Plateaux, Manosque-les-Couteaux, c'est février, les bars ne désemplissent pas, la fumée et la bière, je pars, le bout du monde, sur la Grande Bleue, vers le cristal et le péril, je pars. Je ne veux plus mourir d'ennui, de bière, d'une balle perdue. De malheur. Je pars. Tu es folle. Ils se moquent. Ils se moquent toujours - toute seule sur des bateaux avec des hordes d’hommes, tu es folle... Ils rient.
Riez. Riez. Buvez. Défoncez-vous. Mourez si vous voulez. Pas moi. Je pars pêcher en Alaska. Salut.
Je suis partie."


"Je me suis assise sous la grue. J'ai regardé l'horizon longtemps. J'ai pensé que quelque part derrière ce bleu et dans un bleu plus profond encore, plus bruyant et plus agité, il y avait un bateau noir, rehaussé d'une fine bande orange, et qui ne cessait d'avancer. Qu'il m'avait été donné le plus grand bonheur, la plus belle fièvre, le plus grand effort aussi, que nous partagions dans les cris et ma peur, que nous partagions parce que nous n'étions rien sans les autres. On m'avait donné un bateau pour que je me donne à lui. J'étais du voyage et l'on m'avait jetée en route. J'étais revenue dans un monde de rien où tout s'éparpille et s'épuise en vain."


"- Alors t'as laissé ton pays pour venir pêcher l'aventure...
- Je suis partie c'est tout.
- Pfff ! Vous êtes des milliers comme ça, qui arrivez depuis plus d'un siècle. Les premiers c'étaient des féroces. Vous c'est pas pareil. Vous êtes venus chercher quelque chose qui est impossible à trouver. Une sécurité ? Enfin non même pas puisque c'est la mort que vous avez l'air de chercher, ou en tout cas vouloir rencontrer. Vous cherchez... une certitude peut-être... quelque chose qui serait assez fort pour combattre vos peurs, vos douleurs, votre passé - qui sauverait tout, vous en premier.
Il boit au boulot de sa bouteille longuement, paupières mi-closes, la repose sur le comptoir, rouvre les yeux :
- Vous êtes comme tous ces soldats qui partent affronter le combat, comme si votre vie ne vous suffisait plus... s'il fallait trouver une raison de mourir. Ou comme s'il vous fallait expier quelque chose.
- Je veux pas mourir Joey."



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire