mercredi 12 février 2014

Passage des Panoramas

 

Ouvert en 1799, le passage des Panoramas est le plus ancien passage couvert de Paris. Il tire son nom d’une attraction alors en vogue venant de Londres, les panoramas (ou panoramiques), sortes de constructions où des paysages peints exposés circulairement sur le mur intérieur de rotondes donnaient l’illusion, par un effet de trompe-l’œil, de la réalité. Deux tours rondes, aujourd’hui disparues, avaient été édifiées à cet effet à l’entrée du passage donnant sur le boulevard Montmartre.  


L’endroit est longuement décrit par Zola dans Nana, puisque c’est dans le passage des Panoramas que se trouve la sortie des artistes du Théâtre des Variétés, où la jeune femme joue le rôle de Vénus. Le passage devient son lieu de promenade et de rendez-vous favori.



"Trois mois plus tard, un soir de décembre, le comte Muffat se promenait dans le passage des Panoramas. La soirée était très douce, une averse venait d’emplir le passage d’un flot de monde. Il y avait là une cohue, un défilé pénible et lent, resserré entre les boutiques. C’était, sous les vitres blanchies de reflets, un violent éclairage, une coulée de clartés, des globes blancs, des lanternes rouges, des transparents bleus, des rampes de gaz, des montres et des éventails géants en traits de flamme, brûlant en l’air; et le bariolage des étalages, l’or des bijoutiers, les cristaux des confiseurs, les soies claires des modistes, flambaient, derrière la pureté des glaces, dans le coup de lumière crue des réflecteurs; tandis que, parmi la débandade peinturlurée des enseignes, un énorme gant de pourpre, au loin, semblait une main saignante, coupée et attachée par une manchette jaune.
Doucement, le comte Muffat était remonté jusqu’au boulevard. Il jeta un regard sur la chaussée, puis revint à petits pas, rasant les boutiques. Un air humide et chauffé mettait une vapeur lumineuse dans l’étroit couloir. Le long des dalles, mouillées par l’égouttement des parapluies, les pas sonnaient, continuellement, sans un bruit de voix. Des promeneurs, en le coudoyant à chaque tour, l’examinaient, la face muette, blêmie par le gaz. Alors, pour échapper à ces curiosités, le comte se planta devant une papeterie, où il contempla avec une attention profonde un étalage de presse-papiers, des boules de verre dans lesquelles flottaient des paysages et des fleurs.
Il ne voyait rien, il songeait à Nana. Pourquoi venait-elle de mentir une fois encore ?
[...]
Elle adorait le passage des Panoramas. C’était une passion qui lui restait de sa jeunesse pour le clinquant de l’article de Paris, les bijoux faux, le zinc doré, le carton jouant le cuir. Quand elle passait, elle ne pouvait s’arracher des étalages, comme à l’époque où elle traînait ses savates de gamine, s’oubliant devant les sucreries d’un chocolatier, écoutant jouer de l’orgue dans une boutique voisine, prise surtout par le goût criard des bibelots à bon marché, des nécessaires dans des coquilles de noix, des hottes de chiffonnier pour les cure-dents, des colonnes Vendôme et des obélisques portant des thermomètres."



Le passage des Panoramas a conservé son clinquant, ses dorures. A l’image des grands boulevards sur lesquels il est situé, il reste dans la journée très animé, trop animé sans doute pour prêter à la rêverie. C’est très tôt le matin qu’il est agréable de l’emprunter, peu après l’heure où Paris s'éveille...

Mais son attrait le plus irrésistible réside pour moi dans la boutique de cartes postales anciennes située au numéro 50. Dans cette malle aux trésors idéale pour un voyage aussi bien dans l’espace que dans le temps, on trouve des vues d’Italie, de Rouen, et de bien d’autres lieux de grâce ou de mémoire. Et il suffit de retourner les cartes pour devenir le témoin curieux, indiscret, parfois fasciné, de bribes de vies évanouies, qu’elles soient banales, mystérieuses, poignantes... Exactement de quoi, selon l’expression et le souhait de Van dans Ada ou l’ardeur, "caresser le temps".




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire