dimanche 7 juillet 2013

Sentiment de vide et jour de fête

"Au dessert, les chansons patriotiques d'après la Libéra­tion avaient disparu. Les parents entonnaient "Parlez-moi d'amour", de vieux jeunes gens "Mexico" et les enfants "Ma grand-mère était cow-boy". Nous, on aurait eu trop honte de chanter comme avant "Étoile des neiges". Priés d'en pousser une, on prétendait ne connaître aucune chanson en entier, certains que Brassens et Brel détonneraient dans la béa­titude des fins de repas, qu'il fallait de préférence des chansons que d'autres repas et des larmes essuyées avec le coin de la serviette avaient consacrées. On répugnait farouchement à dévoiler des goûts musicaux qu'ils ne pouvaient comprendre, eux qui ne connaissaient pas un mot d'anglais en dehors de fuck you appris à la Libéra­tion, ignoraient l'existence des Platters et de Bill Haley.
Mais le lendemain, dans le silence de la salle d'études, au sentiment de vide qui nous envahissait, on savait que la veille avait été, même si on s'en défendait, qu'on avait cru rester extérieurs et s'ennuyer, un jour de fête."
Annie Ernaux, Les années

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